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Sa vie après-guerre

Le retour au Pays


 


 

L'année 1946 vient de commencer.
Les frimas de l'hiver se font moins rigoureux, les conditions matérielles d'un retour au pays s'améliorent doucement.

Léonce et Madeleine avaient trouvé en cette commune de Montagnac un refuge à leur errance, y avaient connu la peur, la hantise de la mort, y avaient vu et connu un certain nombres d'atrocités difficiles à oublier.

Il y avaient aussi semé un peu d'eux-mêmes.
Leur troisième fille Simone n'y était-elle pas née le 18 octobre 1942 ?
Leur seconde fille Ginette n'y avait-elle pas fait sa communion en 1944 ?
Les liens très forts d'amitié et de solidarité ne s'étaient-ils pas noués avec plusieurs familles ?
Combien d'hommes de la commune se sont battus comme des enragés, comme lui, pour ne pas "crever" et faire la peau des verts-de-gris ?

Et pourtant, il fallait bien partir (pour la dernière fois, enfin), et retourner au pays...retrouver la maison. 

Léonce, Madeleine et leurs trois enfants reprennent la route de la Charente-Maritime, toujours aussi loin......à vélo !
Ils feront le trajet (que le couple connaît maintenant par cœur) vers le mois de mars1946 et trouveront le gîte et le couvert chez la sœur de Léonce, à Couis, avant de rejoindre leur maison (située à quelques centaines de mètres de là) restée si longtemps inoccupée.

Le retour à la vie civile, ou plutôt civilisée, n' a dû être facile pour le couple.

il fallait tout recommencer !

L'argent manquait, tout manquait !
Léonce reprend son travail de maçon.

Un copain, maçon comme lui, lui donna quelques chantiers pour se refaire la main et retourner à une vie « normale » ; Madeleine élève ses enfants, fait du jardinage, élève un cochon, des lapins, des volailles pour "faire bouillir la marmite". Sa femme Madeleine, encore une fois, sera héroïque à sa façon, comme beaucoup de femmes de cette époque.

Petit à petit la vie reprend son cours.
Léonce retrouve ses repères d'avant : la maçonnerie, le plaisir de la chasse, de la pêche avec les copains.

Et puis, la famille s'agrandit : deux garçons naîtront en 1947 et 1949.

Deux garçons à qui il transmettra son amour de la nature, de la chasse, de l'immensité du marais le long de le Gironde et à qui il apprendra le plaisir de la chasse et le métier de maçon.
Les deux garçons continueront l'entreprise de leur père quand l'heure viendra pour Léonce de se retirer de la vie active.

Mais l' Homme restera longtemps meurtri par ses années de guerre et de maquis.
Les idées noires, les remords peut-être d'avoir fait de "choses sales", le souvenir du sang, des cadavres de copains, tombés sous les balles des boches, qu'on n'avait pas pu récupérer, les camarades fusillés à Villamblard, les 17 hommes fusillés à St Julien-de-Crempse ....et tout le reste..!
Il lui était difficile de débattre d' un sujet quelconque sans dévier invariablement sur un "si ça s'était passé pendant le maquis, je te jure que....).
La colère et la rancœur accumulée pendant toutes ces années gangrèneront longtemps sa vie quotidienne.

Sa rancœur est d'autant plus forte qu'il constate que son retour n'est pas du goût de tout le monde, que son absence parait suspecte à certains; mais là, Léonce se charge vite se clarifier les choses, aidé en cela par sa grande gueule et son physique plutôt impressionnant.
Et surtout, il constate que certains anciens "collabos" ont su faire oublier leurs activités passées récentes et ont pignon sur rue.


Alors là, Léonce explose !
Ainsi, un copain chez qui il avait fait des travaux de maçonnerie l'invite à dîner le soir. Soudain, au début du repas, un invité surprise arrive et se met à table. C'était un ancien "collabo", surnommé le Grand Jeannot, qui s'était distingué dans la dénonciation et monnayait son intervention auprès des Allemands afin d'éviter l'envoi des hommes du coin au S.T.O.
Léonce demande à son copain si ce "salaud" allait bien manger à la même table qu'eux. Il s'entend dire "qu'il faut oublier" le passé... que les "Boches c'est fini".
Sur ces mots, Léonce se lève et part, écœuré.

Les années vont passer et cicatriser doucement cette déchirure si profonde en lui.

Et puis, il va connaître à nouveau des moments de joie.

Le 28 mars 1953 sa fille Ginette (vous savez, celle qui a fait sa communion là-bas à Montagnac en 1942) qui a bien grandi et devenue une jolie jeune femme, épouse un jeune maçon, amateur de sport comme lui.

La vie reprend ses droits, les enfants se marient, les petits enfants naissent.

Arrive l'année 1978 : c'est l'année de son départ en retraite bien mérité après tant d'années de travail difficile car tous les matériaux se portaient encore à dos d'homme à cette époque. Et puis , Léonce n'avait jamais pu ou plutôt voulu s'adapter aux nouvelles techniques de travail (le matériel pour faciliter le travail était fait pour les fainéants, disait-il), alors il valait mieux laisser l'affaire à ses deux garçons.

Mais c'est aussi et surtout l'année du décès de sa femme Madeleine, si effacée, si dure au mal et si fidèle au point de le suivre avec les enfants en Dordogne (à vélo rappelez-vous).
Madeleine s'éteint le 8 décembre 1978, vaincue par une longue et cruelle maladie qui ne lui laissa aucune chance et l'emporta rapidement, après d'atroces souffrances.

Léonce, le rude au travail, ignorant la souffrance physique, le forçat de la route qui avait traversé la France à pied pour s'évader, risqué sa peau dans le Maquis voyait sa vie s'effondrer.
Il était désormais seul, perdu, cassé....dans sa maison désormais trop grande et bien silencieuse.

Il va alors chercher un certain réconfort auprès de ses copains (et Dieu sait qu'il en avait un certain nombre dans les communes environnantes).
Il cultivera à merveille son image "d'original" qu'il a toujours été dans sa vie; mais maintenant c'était pour oublier sa grande solitude.
Ainsi, faisait-il le tour des "popotes" pour aller refaire le Monde chez ses copains ou dans le bistrot du coin où il savait pouvoir les trouver en chevauchant son "increvable mobylette" (tout le monde reconnaissait la mobylette à Léonce).

Original, oh oui il l'était !
Ses copains lui disaient souvent :"Léonce, un jour tu te feras voler ta mobylette !".
Il leur répondait sur un air malicieux : "Ne vous inquiétez pas ! J' ai un antivol efficace".
Les gendarmes de Mirambeau le découvriront à leur dépens !
Intrigués par le fait que Léonce ne se déplaçait jamais sans un cageot attaché sur le porte-bagages de sa pétrolette, soigneusement recouvert d'un sac de jute, ils voulurent savoir ce qu' il pouvait bien "trafiquer".
Bien mal leur en prit car, après avoir soulevé le dit-sac de jute...ils firent un grand écart, effrayés par leur découverte !
ils virent une énorme couleuvre chloroformée depuis des années qui gisait au fonds du cageot et montait la garde sans broncher.

Il continuait de garder le même rapport de complicité avec la Nature. La "chasse à la tonne" et à la pêche à main nue dans les chenaux du marais (chut ! ne le répétez surtout pas, c'était et c'est toujours interdit) étaient pour lui une vraie passion.


 

Il connaissant mieux que quiconque les endroits les plus reculés cachés au fonds des bois ,
propices à la pousse de superbes cèpes.
Sur cette photo, il est heureux de monter un cèpe enfin à sa taille !


 

 Léonce était aussi un artiste à l'imagination très féconde, parfois déroutante.

Le marais, toujours le marais et son immensité , lui permettait de laisser vagabonder son esprit et de trouver à portée de main une matière première gratuite et sans cesse renouvelée : les déchets de bois, troncs et branches d'arbres aux formes diverses, pétrifiés par la mer.
Après un minutieux décapage au ciseau de bois, habillage avec divers objets comme des billes de verre...il en faisait d'étranges créatures aux formes inquiétantes (E.T. n'aurait pas été dépaysé parmi elles). Tout cela pour se passer le temps, et blaguer de cela avec les potes.

Léonce avait aussi le sens de la famille et ne voulait pas voir disparaître les siens de la mémoire collective si encline à oublier facilement ( il me disait : tu sais, dès que tu crèves...on t'oublie).
Alors il s'est rappelé que son premier métier était tailleur de pierre ; il a repris ses ciseaux, son marteau, est parti en quête de pierre de qualité et a sculpté la pierre tombale de plusieurs des siens.


 

son grand-père Jean PICQ
(1852-1920)

son père Amédée PICQ
(1878-1955)

Sa mère Lucile PIGNON
(1882-1968)

Plus sobre : son épouse et lui


 

Il n'oubliera pas (d'ailleurs le pouvait-il ?) son passé de combattant et de résistant en étant pendant de nombreuses années le porte-drapeau de l' association communale d'Anciens Combattants de sa commune, Consac.

Il sera décoré le 8 mai 1983 de la Croix du Combattant à Consac
avec six autres camarades

Il recevra le 11 novembre 1986 la Médaille des Evadés, à Consac,
avec les Félicitations du Général commandant la 4ème Région Militaire.


 

Son passé de soldat mobilisé en 1939, fait prisonnier en Juin 1940 dans les Vosges et l'exploit de son évasion en 1941 étaient enfin reconnus plus de quarante ans après ! Bien maigre reconnaissance ! Mais en ce qui concerne son activité de résistant dans la Résistance : RIEN !
Rien parce que les faits de Résistance, donc en dehors de toute organisation reconnue, demandaient à être reconnus officiellement après une "homologation" très administrative et que l'obtention d' une médaille ou décoration quelconque au titre de la Résistance exigeait une demande expresse du combattant.

Et cela, Léonce l'a toujours refusé !Après s'être battu la Sten à la main, il aurait fallu "faire l'aumône" auprès de la Nation pour se voir reconnaitre la valeur de ses actes ? JAMAIS ! Qu'ils se la mettent au c... disait-il de dépit. Sa liberté à lui, c'était de refuser de "baisser le froc" devant "cette couée de plaqués" qu'on n'avait pas beaucoup vus pendant la guerre et qui tenaient les premiers rôles aujourd'hui.

 Les années passèrent.

Devenu très fataliste devant la vie qui lui échappait, il disait aux copains : "Quand vous ne me verrez plus à Mirambeau, c'est que je serai foutu". Un Un jour, on a cherché la mobylette de Léonce à Mirambeau.
Léonce n'était pas venu.
Les copains ont compris.

Léonce avait largué les amarres, ce matin du 28 mai 1991. Il prenait son petit-déjeuner, assis au bout de la table, comme à l'accoutumée...et puis.....s'en est allé rejoindre sa femme Madeleine....là-bas.

Le jour de ses obsèques, le village de Consac était envahi d'une foule compacte venue rendre hommage à Léonce, le gars simple, le copain, l'original, le bon vivant, la grande gueule qui ne mâchait pas ses mots,
le combattant, le résistant.

 Non, Grand-Père, ce jour-là tu n'étais pas seul ! Ils étaient tous là pour toi.

 

 

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